Dans son roman, « L’Homme qui rit », Victor Hugo imaginait un théâtre ambulant sous forme de roulotte, tenu par des philosophes saltimbanques, et qui avait la capacité de se fondre dans le décor des villes pour distribuer aux habitants un peu de rêve et de matière à réflexion. Ce théâtre s’appelait La Green Box ; et s’il existait jusqu’à présent essentiellement dans les pages d’un livre, Florent Vintrigner, Benoît Laur et Arnaud Viala en ont fait une réalité.
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Avec ce projet mêlant des poèmes réalistes de Victor Hugo et une folk animale rappelant des paysages de grands espaces, le trio emprunte un chemin profondément humaniste qui offre une porte d’entrée inédite vers une littérature dense et intemporelle, nécessaire à notre époque. Alternant des chroniques de la vie quotidienne (« Quand nous habitions tous ensemble ») et des textes résonnant puissamment avec notre actualité politique (« Une nuit à Bruxelles », « Le Voile »), le trio nous donne à réentendre une poésie fulgurante qui frappe par ses sonorités d’une grande musicalité. L’alliance avec les influences de songwriters américains devient alors une évidence : sur la scène de La Green Box, Victor Hugo se révèle comme le plus anglo-saxon des écrivains français.
Habitué de la chanson de grand chemin qu’il compose et joue depuis plus de quinze ans avec La Rue Kétanou, Florent Vintrigner met ici de côté sa caravane joyeuse et son accordéon pour arpenter un chemin plus rocailleux et revenir vers ses premiers amours : la folk américaine d’un Bob Dylan ou d’un Leonard Cohen qui ont su donner, dans les années 60, un cerveau et un verbe au rock populaire et traditionnel. Cette volonté d’allier musique et philosophie dans un spectacle ambulant parlant au plus grand nombre n’est pas nouvelle : à l’aube des années 2000, Florent découvre le Théâtre du Fil et tombe sous le charme de ce lieu ouvert à tous qui fait circuler le théâtre dans des endroits où on ne le voit pas souvent. Entre quartiers en friche et prisons, il rencontre des artistes engagés socialement et politiquement qui ne cessent de créer des ponts vers des œuvres d’une grande richesse, mais pas toujours faciles d’accès. En parallèle, Allain Leprest le prend sous son aile et lui apprend à affûter sa plume en la frottant à la rugosité du quotidien pour adoucir le réel avec un peu de poésie. Arpenter les routes, les rues et les bars pour faire souffler un vent de liberté et apporter un peu de lumière même dans les endroits les plus sombres devient alors son leitmotiv.
C’est d’ailleurs dans cet univers qu’il rencontre ses compères de La Rue Kétanou... mais aussi Victor Hugo. Lorsque le théâtre décide de mettre en scène « L’Homme qui rit », c’est à Florent qu’incombe la tâche de choisir et de mettre en musique des poèmes tirés de plusieurs recueils. Le coup de foudre est immédiat : loin des romans connus pour leurs descriptions à rallonge extrêmement détaillées, Florent découvre chez Victor Hugo un art de la punchline qui se prête immédiatement à la mise en musique. Lui qui clame son amour pour « le côté intemporel de la chanson » a toujours eu besoin de mélodie pour s’approprier et comprendre la poésie : celle de Victor Hugo claque et lui offre un formidable terrain d’expérimentation pour éclairer cet immense auteur d’un nouveau jour. Et puis, ce sont Arnaud et Benoît qui découvrent tout le potentiel de jeu que leur offrent les rimes de Victor Hugo. Tous deux ingénieurs du son pour La Rue Kétanou, ils rejoignent Florent à la composition et aux arrangements. Benoît est une habitué des pubs de Liverpool, dans lesquels il a joué pendant plusieurs années, et des batucada des favela de Rio où les tripes priment sur la technique : rassemblant percussions, guitares, banjo, claviers et harmonica, il fait entrer Victor Hugo en transe dans des boucles musicales animales et enivrantes.
Au son, Arnaud apporte lui une dimension épique de western moderne en créant autour des textes une atmosphère presque cinématographique : les percussions deviennent alors le bruit de bottes des réfugiés sur le chemin de l’exil (« Une nuit à Bruxelles ») tandis que les cordes se transforment en halètements tendus d’un père courant après sa fille dans la campagne, pour jouer et puis pour la sauver (« Quand nous vivions tous ensemble »). Dans cet univers poignant, la voix écorchée de Florent roule avec puissance, insufflant encore un peu plus de vie et d’émotion aux mots de Victor Hugo. Pour défendre sa manière de chanter si particulière, Bob Dylan, encore lui, avait cité Sam Cooke affirmant que les voix ne comptent pas par leur esthétisme, mais seulement « si elles vous convainquent qu’elles disent la vérité » : ici, c’est tout la sincérité et la générosité de l’engagement du trio qui se déclinent à chaque note. A travers ce projet, La Green Box a eu l’intelligence d’abattre les murs et sortir des carcans qui voudraient que poésie classique et musique contemporaine soient deux entités séparées pour éclairer l’une à la lueur de l’autre. Il en ressort un disque lumineux qui crée de l’espace dans nos cœurs et dans nos têtes.
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